haut – bas – fragile

Übersiedlung (2)quitter Istanbul (1)Übersiedlung (4)

[variations sur le thème « quitter Istanbul – retrouver Vienne »]

« On reconnaît les villes à leur démarche, comme les humains. »
[R. Musil, L’homme sans qualités, traduit par P. Jaccottet]

C’est d’abord quitter le bruit incessant de la ville ; le vacarme du jour : les sirènes des bateaux, le bourdonnement des cargos, le cri des mouettes, les klaxons des voitures, les sifflets d’agents de police, les feulements de matous en colère, le grincement du tramway, les aboiements de chiens, le tintement des cuillères dans les verres de thé, la plainte geignarde des enfants appelant leur mère, les poules de la cour, l’appel des rémouleurs, ferrailleurs et chiffonniers, les grésillements de perceuses, crépitements de soudeuses et coups de marteaux, et le livreur de pizzas ou d’escalopes viennoises, mais aussi les échos de la nuit : les mélopées arabesques montant des bateaux à touristes, le chant du muezzin, les miaulements de chattes en chaleur, la Harley du bout de l’impasse, et encore et toujours la rumeur sourde et obsédante qui monte du Bosphore, à toute heure du jour, de la nuit.

C’est laisser derrière soi la moiteur, la sueur, la poussière qui colle à la peau, la suie qui noircit la plante des pieds, les marchandages pour un plateau en cuivre ou deux écharpes de laine, le marché du dimanche, le manav ouvert la nuit, les traversées en vapur pour aller en Asie acheter du poisson, les errances dans le quartier des antiquaires, les bières fraîches sous le pont Galata et les troquets de Cihangir.

C’est oublier peu à peu les graffitis dans l’ombre des ruelles étroites, le café Urban sous sa vigne sauvage, les concerts de casserole, le vrombissement des canons à eau, la marée humaine de l’Istiklal Caddesi et l’ébullition de la place Taksim, l’odeur sucrée de cannelle de la viande grillée et celle âcre de poivre des gaz lacrymogènes.

C’est ralentir le pas, reprendre son souffle, revenir à l’essentiel. C’est un peu comme, après une escapade amoureuse ou un moment de folie, retrouver une ancienne maîtresse, les notes graves de sa voix, son parfum familier, sa respiration lente, ses gestes tendres et silencieux, et avoir le sentiment apaisant d’être enfin rentré chez soi.

La règle du jeu

DonaudeltaUn voyage Istanbul-Vienne par la route en passant par la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie en seulement une semaine, c’est un peu comme une partie de 1000 Bornes : il s’agit d’accumuler des kilomètres afin d’arriver au but sans encombre. Il semble que nous ayons dès le départ tiré les bottes As du volant et Increvable. Après Edirne découverte au pas de course, passée la frontière bulgare, nous avons aussi pu éviter l’obstacle Panne qui menaçait grâce à la carte Citerne d’essence. Et maintenant, Roulez. Les routes bulgares n’ont pas de marquage au sol, sont envahies d’herbes et creusées de nids de poules. Pas d’aires de repos, pas de toilettes. Les villages que l’on traverse sont pratiquement déserts, les maisons délabrées, aucun magasin, pas de terrains de sport ou de jeu, pas de jardins… Deuxième frontière. Contrôle sommaire d’identité et de douanes, puisque nous sommes déjà dans l’Union Européenne.
Delta du Danube : photographié un troupeau de moutons sur la lande, une borne kilométrique qui indique « Raila 80 km », un minaret quelconque, une boîte aux lettres rouillée, les bulbes dorés à l’or fin d’un monastère, un paysan sur une charrette tirée par deux chevaux, un nid de cigognes sur un poteau électrique, les méandres du fleuve à perte de vue, un château d’eau en ciment comme dans mes souvenirs d’enfance, un toit de ferme en roseaux. Traversée du Danube en bac à Galati. Pique-nique improvisé devant une gare désaffectée, puis reprendre la route. Pour gagner des points, enfin des bornes, des kilomètres. C’est la règle du jeu. Embouteillage en montagne en descendant sur Braşov. Ce sont les aléas de la route. Et à nouveau à un passage à niveau où des enfants mendient « pour de faux », tandis que leurs parents vendent des pastèques sur le bord de la route.
Je passe. Le château des Hohenzollern-Sigmaringen et le monastère de Sinaia, ainsi que le château de Dracula. Pas vus non plus les lacs de montagne et les glaciers des Carpates. Champs d’éoliennes, de maïs et de blé, allées de bouleaux ou de peupliers. Route départementale 22. Asphalte crevassé. Chiens crevés et dépecés par des oiseaux rapaces. Dans les villages de Transylvanie, on découvre la vie sédentaire des Roms, sans doute des Caldéraches, cousins très lointains du peuple Nath venu il y a des siècles du désert de Thar. Les femmes en portent encore les longues jupes rouges et les boucles d’oreilles. Les hommes et les adolescents sont coiffés de larges feutres noirs qui font penser aux gardians de Camargue. Ils font les fenaisons à la faux et à la fourche, travaillent le cuivre et vendent des objets glanés ici et là. On marchande un vieux siphon en verre pour quelques lei et un paquet de biscuits pour les enfants. On les rêvait saltimbanques, musiciens, diseuses de bonne aventure ou dompteurs de chevaux, mais l’histoire du pays a laissé ces gens du voyage, ces errants de la terre sur le bord de la route. Le regard sévère, les traits durcis et l’air farouche.
Attention travaux. Déviation. Revenir en arrière, perdre du temps. La carte Allonge rapporte des kilomètres en plus. Alors on fait un crochet pour voir l’église fortifiée de Biertan.
Et puis le soir du quatrième jour, on se rend compte qu’on a fait plus de 1600 kilomètres et qu’on a déjà gagné l’étape. Alors on ralentit le rythme, on se laisse aller à flâner dans Sibiu et à boire une bière fraîche sous la lune nomade. Fin de partie.

Sibiu, samedi 20 juillet 2013

Sous les pavés…

 

sous les pavés, la plage ?

Un mois après le « nettoyage » du parc Gezi à Istanbul et les confrontations qui ont suivi, on parle de quatre morts, de trois manifestants dans le coma (deux femmes et un jeune de 16 ans), 11 personnes y auraient perdu la vue et 8 000 personnes auraient été blessées. Des policiers auraient également mis fin à leurs jours.

Or on vient d’apprendre que le parlement avait ordonné début juin l’arrêt des travaux de construction de la caserne dans le parc, une décision dont le gouvernement aurait été au courant…