Quand on partait en vacances, en caravane, vers la Costa Brava ou la Costa Daurada, mon frère et moi à l’arrière de la voiture, c’était toujours papa qui conduisait. Du moins dans mon souvenir. Maman posait la main sur sa cuisse, comme pour sceller le pacte.
Elle avait toujours dans la boîte à gants des bonbons à la menthe La Pie qui Chante qu’on essayait de sucer jusqu’à faire un trou au milieu sans que l’anneau formé ne se casse ni surtout sans s’y tailler la langue. Cela occupait pendant des kilomètres. Puis on jouait à compter les 2 CV vertes, les barbus et les femmes enceintes.
Jusqu’à la frontière espagnole, on écoutait la radio française, puis des cassettes de chansons : Joe Dassin chantait L’été indien, Michel Fugain Un beau roman et Michel Delpech Chez Laurette ; et nous, nous chantions avec : « C’était bien, c’était chouette ».
Quand, sous l’effet de la chaleur, les bandes magnétiques s’étaient entortillées dans le lecteur, maman essayait bien de les rembobiner avec un stylo à bille, mais elles finissaient par se déchirer.
Plus tard, après de longues plages de silence, papa entonnait les premières mesures de « Dans ce qui fut ma poche, et qui n’est plus qu’un trou, je n’ai plus de sous » ; maman, mon frère et moi enchaînions en chœur ou en canon, et l’habitacle se remplissait de ces chants folkloriques de colonies de vacances où il était question de « plumettes d’argent » et de « feuilles d’automne, emportées par le vent ». C’étaient des airs enjoués comme Le roi Arthur suivis par d’autres plus mélancoliques : S’en allaient trois garçons, Ma chaumière, des paroles vieillottes dont je ne comprenais pas très bien le sens : « C’est Jean-François de Nantes, Oué, oué, oué, Gabier de la Fringante, Oh ! mes bouées, Jean-Françoué ».
Quand notre répertoire était épuisé et que nous avions déjà repris trois fois Se canto, ma chanson occitane préférée, dont je chantais le refrain d’une voix de tête, maman sortait de la boite à gants un autre trésor : un carnet à ressort ATLAS, à petits carreaux, sur lequel elle avait noté des jeux et des chansons, des années auparavant.
Plus de quarante ans ont passé, et le carnet est toujours là ; sur la couverture d’un bleu d’encre tout délavé on peut encore lire, sous Atlas portant son globe : « NF cahiers scolaires No 451 ». Une page est cornée à « Colchique dans les prés ». Une chanson qui se termine par « et ce chant dans mon cœur murmure, murmure, et ce chant dans mon cœur murmure le bonheur. »