Photos de voyages

ashirvada

Je suis ici et rêve d’un voyage,
là-bas,
dans ces vallées riantes aux temples sacrés,
sculptés dans le bois du Népal,
ou monastères taillés dans le roc des falaises,
au bord de lacs immenses aux eaux d’émeraude.
Inde des méditations sereines, des sages anachorètes
vivant dans l’ombre fraîche et parfumée des forêts.
Inde desséchée, brûlante et tragique.

 

Hiver breton

Poussière d’embruns.
Le vent, l’Océan.
Rochers massifs qui déchirent les vagues en dentelle d’écume
et que la mer, parfois, engloutit.
Falaises abruptes ; douceur aux yeux du velours du calcaire.
En haut de la falaise, la lande.
Une pluie fine enveloppe la bruyère et le genêt, comme pour en préserver les couleurs ; seules tâches vives de tout le paysage.
Peut-être aussi une chaumière isolée, tranquille.
A l’intérieur des terres on se protège de l’Océan par des églises, des calvaires, des gargouilles grotesques.
Plus au sud, une longue plage déserte bordée de grands hôtels aux toits d’ardoise froide. Ici le sable est sombre, humide, loin des dunes dorées et chaudes qui ondulent entre les pins comme les hanches d’une femme.
Et toujours la violence du ressac, ce va-et-vient incessant, régulier, langoureux.
Presque obscène.

Parfois seulement, passe une silhouette. Irréelle.
Manteau de pluie, col relevé et mains dans les poches. Glacées.
Les pas crissent doucement ; elle a froid.
Le regard fixé sur la ligne de l’horizon.
Là-bas.
Là où il n’y a plus de voile blanche qui flotte dans le vent.
Pas même un vol de goélands.

 

« Windwinterland »

Les vents se déchiraient au faîte de la cathédrale
et les airs n’étaient plus que poussière de nuages.
Les premiers rayons promettaient l’arrivée du printemps
et les bruits de la ville, étouffés sous les amas de neige,
semblaient tout à coup remonter de la terre :
les sabots des chevaux sur les pavés de bois,
le grincement aigu du tramway sur le Ring,
le bruissement des feuilles, les aboiements, les rires.

Elle aurait décidé de s’ouvrir à l’éveil de la ville dans un café viennois.
Sur le guéridon centenaire, une tasse brune et chaude sur un plateau argenté – Elle se dirait que, quatre-vingts ans plus tôt, à cette même table, elle aurait eu une robe de dentelle et de cretonne, un grand chapeau de crêpe et des colliers de perles. Et sur la table, sans doute, une absinthe.
Elle serait là assise, et, avec l’impatience de sa jeunesse, elle attendrait quelqu’un.
Et ce quelqu’un, ce serait vous.

 

Pierres cathares

Pays de merveilles et d’émotions que ce coin de terre aride au flanc des Pyrénées.
Les maisons de pierre ocre chauffée au soleil.
L’ombre de la pergola au café du village.
Le silence, le calme. Rien ne bouge. Seuls les chats lascifs sur les parvis de ciment frais des maisons aux volets fermés.
Ici on ne triche pas. C’est la France profonde avec ses traditions, sa culture ancestrale. Entre France et Espagne, collines et plaines, vallons secs des Pyrénées.
Florilège des sens : vins, miels, fromage de brebis et pain de froment
– et l’accent si fort qui racle la gorge de ceux du pays,
ces fils des montagnes.

Isolée comme un navire de pierre
flottant sur une mer de galets, la forteresse se dresse sur son pog. Irréelle.
On dirait un sanctuaire ou quelque temple aztèque ; on la dit temple du soleil.
On croirait qu’on ne peut l’atteindre. Mais, pierre à pierre, on conquiert le sommet.
La chaleur, le soleil, la poussière. Les buis qui piquent les mollets.
Puis le ciel pur. Vertige au-dessus du vide.
On aperçoit alors au pied du roc la croix occitane et le champ des crémats.

Je n’ai pas vu le rayon pourpre sur la muraille : soleil levant au solstice d’été.
Et disparu le trésor ou caché depuis sept siècles.
Oubliés les cris, les flammes et les larmes.

Près du château, le lac. Au bord, les roseaux, l’herbe est fraîche, le soir tombe.
Dans un sous-bois, un ruisseau bordé de jeunes noisetiers
où le soleil se joue encore des feuillages clairs et tendres.
Lumière irisée, pour quelques heures encore,
avant la nuit, le froid, l’oubli,
sur les roseaux, les pierres, la poussière et les cendres.

 

De brique rouge et de soleil

Impressions très nettes d’un printemps passé.
Visions nostalgiques.
J’ai envie d’une église romane. Je revois, autour, la place brûlante et la poussière.
Le corps exulte de chaleur.
Le ciment frais et l’ombre du parvis, la lourde porte.
Je l’aime parce qu’elle est fraîche et presque vide ; seules des briques rouges dans la pénombre, la patine douce des bancs de bois sombre et les orgues divines.

Je me souviens des bords du canal ombragés de platanes et des plates-bandes odorantes et colorées ; les berges de Garonne où La Grave se reflète, et sur les quais, sous les ponts, les gazons encore verts, douceur pour les yeux.

Mais je revois surtout un grand appartement avec vue sur les toits. Presque vide. Les murs sont blancs. Devant les fenêtres ouvertes, de grands voiles mouvants. Le soleil filtre à travers les persiennes et forme sur le mur un motif de dentelle.

L’air est lourd, peu de vent.
Dehors la ville est morte.

La pièce est presque vide, je l’ai dit. Mais le plancher doré habite tout l’espace.
Sur le sol, un vase d’argile : branche de seringat.
Et au milieu de la pièce, un vaste lit que recouvre un drapé blanc, froissé.
Mêlé aux plis, un corps, nu, endormi.
La peau est déjà hâlée, satinée.
Cheveux noirs.
À son front une mèche encore humide,
et sur les tempes, comme une perle de rosée.

Et je sais encore les soirées où la fraîcheur inonde les rues et les places.
On commence à sortir, flâner sur les boulevards, les pavés refroidis ;
les places ombragées se peuplent ; sous les arcades, la bière est glacée.
Puis les premières lumières scintillent sur les gouttes des jets d’eau.
Seuls les regards sont encore brûlants.
Et la nuit s’engouffre lentement dans les ruelles.
C’est la vie qui reprend, jusqu’à un nouveau jour.
Parfois aussi,
une pluie salvatrice,
au milieu de la nuit,
vient délaver la ville de ses passions du jour.

 

C’est l’été

Premières grosses chaleurs.
J’ai planté un rosier et des aromatiques :
de la menthe, du thym, sauge et basilic.
La maison embaume de fleurs coupées :
des pivoines écarlates qui n’en finissent pas de faner
au bord d’un pot en terre, de la jeune lavande.

J’ai jeté une vieille couverture sur le banc de bois vert ; il y fait bon dormir
à l’ombre épaisse du sureau.
Le chat dort sous la table du jardin ou se laisse bercer par le chant des oiseaux.
Je bois du thé noir à la menthe ; j’ai préparé des fraises au Grand-Marnier. Nous les mangerons quand elles seront bien fraîches.
Ainsi je me donne à la douceur de ces jours de soleil, de calme, de bonheur,
pour affronter l’hiver à venir.
Mais
seule
quand la nuit tombe,
je me lève,
je veille,
j’écris.
Car « quelque chose d’amer et de fade remonte aux lèvres comme aux fins de voyage », l’impression désolante de n’avoir pas vécu.

 

Lettre à Sarah

C’est une maison couleur de sable en haut d’une colline ; de grands portiques chargés de grappes mauves de glycine et de fleurs de passion.
Là-bas les roses ont un parfum que tu ne connais pas et elles n’ont pas d’épines, je crois.
Je t’y emmènerai, tu verras.
Tu connaîtras un vrai printemps :
l’odeur du mimosa,
du seringat
et des pivoines en fleurs.
L’été nous mangerons des baies rouges et noires,
gorgées de soleil et de sucre,
à l’ombre fraîche des acacias.
En septembre, nous goûterons les marrons au coin de la cheminée quand le soir,
dehors,
se glisse lentement sur le coteau – et je te parlerai des lapins qui dansent la nuit entre les vieux chênes.
Je t’apprendrai la pluie, le vent, la rouille des sous-bois et les brumes d’automne.
Tu verras. Ce sera bien,
quand tu seras là.

 

Entre Aubrac et Rouergue

Le pays que je vais dire est le cœur vert de la France, calme et tranquille, un écrin de verdure. Et les jours dont je parle sont avant les chaleurs de l’été, au début de juin.

La pluie tombe en rafales, mais on part quand même se promener à l’abri des bois de hêtres et de chênes tortueux, au milieu des fougères – elles sont très hautes cette année : les gens du pays disent qu’il a beaucoup plu ces derniers temps – on marche dans ces bois secrets d’animaux et de vies inconnues. On cueille un bouquet champêtre de campanules, marguerites, reine-des-prés et graminées. On le mettra ce soir dans un pot ébréché, sur le rebord de la grande cheminée.

Après le bois, une clairière au profond tapis d’herbe. Puis on longe les drailles, ces chemins aux murs de pierres tracés pour le bétail et on descend jusqu’à la rivière. Le Viaur. Elle est gorgée de boue et de déchets. Le vent vient en rider la surface.

On passe un pont bombé semblable à tous ces ponts de campagne du sud de la France, à la différence qu’il est partagé en son milieu par une borne arrondie marquant la limite de deux départements. On traverse un hameau désert : quelques poules, des chiens, un lapin en liberté, des géraniums fanés.

Puis il faut vite rentrer, avant la nuit, avant le froid.

La maison s’appelle La Méjanie ; je ne sais pas ce que cela veut dire. C’est une grande maison de pierre à flanc de coteau entre Tarn et Aveyron, aux toits de lauzes, cachés dans la verdure. Une ancienne ferme, dont les granges sont délabrées, vides de machines et de balles de foin ; les poutres sont rompues, la pierre manque par endroits et des lichens inventent un langage sur le granit.

On allume le feu, on fait griller des viandes et des pommes de terre sous la braise. Une eau glacée coule du robinet de fonte dans un évier de pierre. Le vin aussi coule glacé d’un grand pichet. On mange à la grande table de bois, sur de longs bancs, tous ensemble. On parle, on chante, on rit : que la vie est simple loin des villes !

Puis il y eut le café du matin dans des bols de déjeuner et de grandes tartines beurrées sur du pain de campagne avec un mince filet d’un miel très doux. Comme l’aurore.